Sollicitée par SIMUNDIA, afin de partager mon expérience militaire lors d’un de leur webinar sur le thème de la gestion de crise à distance, un grand nombre de managers se sont connectés et ont posé de nombreuses questions. Cet article reprend ce sujet d’actualité.
La période actuelle est inédite. Ce n’est pas une guerre, ne faisons pas offense à nos grands anciens qui ont connu la deuxième guerre mondiale, et ne comparons pas la situation actuelle à ce que j’ai connu plus récemment, en Europe, à Sarajevo en 1993, une ville détruite, des cimetières de fortune dans les jardins de la ville et des gens victimes de snipers qui n’avaient rien à manger. Ce n’est pas non plus une catastrophe naturelle, ni un attentat terroriste comme ceux de 2015, ni une période longue de grève comme cela a été le cas en 2018/19.
C’est une crise sanitaire grave et mondiale, gérée de manière différente suivant les Etats, qui impressionne par le nombre de victimes qu’elle engendre, par les répercussions économiques inédites qu’elle provoque ainsi que par son impact psychologique sur les populations. C’est aussi une crise de la peur.
Dans ce contexte comment poursuivre son activité ? Comment motiver ses équipes et garder le contact à distance ? Ce sont autant de questions auxquelles bien des conseillers de tous ordres tentent de répondre en mettant en exergue l’expérience du monde militaire.
De mon point de vue, cette comparaison doit largement être nuancée.
Les militaires ont choisi des métiers qui sont à la fois très techniques et très physiques, exercés souvent dans des conditions extrêmes. Ils ont un statut particulier, ce ne sont pas des citoyens comme les autres car ils n’ont pas les mêmes droits (syndicats, grèves, obligation de réserve). Pour devenir des professionnels, ils ont enchaîné formations et entraînements pendant des années, ce qui leur permet de vivre le stress de manière différente, leur stress est celui qui pousse à l’action. Cette action est en grande partie conduite grâce à des automatismes appris et intégrés dans leur mental. Cet apprentissage varie en durée en fonction des métiers et des spécialités. La formation d’un pilote de chasse ou d’un officier mécanicien est plus longue que celle d’un maître-chien ou d’un comptable, mais ils partagent le même objectif : accomplir la mission.
Alors comparer le confinement actuel à la vie opérationnelle de militaires comme les sous-mariniers par exemple est à relativiser. L’inaction n’existe pas, la mission est réalisée en équipe (ou équipage), chacun connait parfaitement son rôle et le commandement est omniprésent pour les guider, les réorienter si besoin. Le chef est à l’écoute de ses personnels.
Enfin, les missions sont datées, leur durée est prévue, la fin de mission est généralement connue. Y compris lors des opérations extérieures en cours.
Ce qui caractérise la crise actuelle est l’incertitude de sa durée et l’ignorance absolue de sa date de fin. La peur de la maladie pour soi ou ses proches.
En revanche, ce qui peut être partagé c’est cette discipline que l’on doit absolument s’imposer pour ne pas sombrer dans une forme de dépression ou à minima de laisser aller qui ne permettra pas de repartir rapidement dès lors que la période de crise sera terminée…
Alors, très modestement, en combinant expérience militaire et passage dans le secteur privé, je peux formuler quelques orientations possibles pour le dirigeant ou manager[2] en cette période difficile. Ces conseils sont génériques.
Poursuivre la direction des équipes en période de confinement est un véritable challenge pour le manager qui doit surmonter une double angoisse, celle qu’il ressent à titre personnel et celle liée à ses responsabilités vis-à-vis de ses collaborateurs, mais aussi de ses clients.
Comme nous tous, il bascule dans un monde dépourvu des repères habituels. Sa première responsabilité (professionnelle) est de préserver son activité et ses collaborateurs. Pour cela il doit développer un management à distance crédible et efficace. Il doit inspirer confiance.
A cet effet il doit communiquer. Mais cela ne s’improvise pas. L’absence de communication génère de l’angoisse. La communication permet d’affirmer que quelqu’un « tient le manche », que la gouvernance est assurée, cela rassure les collaborateurs, leur redonne confiance. Ils ne sont pas seuls face à ce vide réel d’arrêt de travail impromptu auquel ils n’ont pas été préparés (ils ne sont pas en congés). Pour communiquer il faut s’y préparer, et comme peu d’entreprises ont envisagé comment assurer leur continuité de l’activité[3] en cas de crise, il convient de planifier en premier lieu une réunion de temps de crise des instances dirigeantes (en y associant les représentants du personnels le cas échéant) afin de transmettre aux collaborateurs une information apte à les rassurer et aussi à leur donner le mode d’emploi de la période qui s’annonce longue, sans langue de bois.
A titre d’exemple, en 2007/2008, les armées ont eu à faire face aux travaux sur la RGPP (révision générale des politiques publiques). Militaires et civils du ministère de la défense ont travaillé sur des éléments de réforme sans en connaitre les objectifs exacts (rationaliser…). S’en est suivi une forte démotivation de l’ensemble des personnels civils et militaires. Toutefois à partir du moment où les décisions ont été communiquées, en juillet 2008, le moral est remonté en dépit d’annonces très dures (diminution d’effectifs de 56 000 postes, nombreuses fermetures d’emprises), car le cap était fixé et chacun s’est remis au travail. Communiquer même quand les nouvelles ne sont pas bonnes est préférable au silence.
La première déclaration doit impliquer le haut dirigeant du groupe, de l’entreprise, afin que l’impact soit fort. Les chefs d’états-majors d’armées se sont personnellement adressés à leurs troupes, Eric TRAPPIER (P-DG) a fait une communication à l’ensemble du personnel de Dassault aviation, le P-DG de Carrefour (Alexandre BOMPARD) a communiqué vers ses équipes via une intervention télévisée…Les exemples sont nombreux. Leur implication démontre ce que les militaires appellent la « permanence du commandement », il y a toujours quelqu’un de disponible.
On peut déplorer que les actions à lancer n’aient pas été préalablement prévues grâce à un plan de continuité d'activité en cas de crise comme évoqué plus haut. On sait toutefois que certaines entreprises échaudées par les nombreuses grèves des années 2018/2019 ont réalisé des pans de plan de continuité en favorisant le télétravail par exemple.
Savoir comment on va fonctionner en situation de crise n’est pas aisé, et les leaders pris dans le quotidien n’imaginent pas souvent un fonctionnement en mode dégradé. Ecrire ce plan est un travail long et fastidieux quand tout va bien, et la personne dédiée à ce plan est souvent mal perçue par les opérationnels. Le décideur doit s’impliquer personnellement afin que ce travail « transverse » ait une chance d’aboutir.
Enfin il faut adopter un langage de vérité vis-à-vis de l’ensemble des collaborateurs. Si certains doivent être placés en chômage partiel il faut les en avertir directement et non en diffusant une liste, ce qui serait maladroit et induirait une réaction d’arrêt de travail immédiat et incontrôlé. De même pour les emplois précaires dont la fin de contrat arrive en période de confinement. Cette communication incombe au DRH, qui devra en outre assurer un accompagnement réel de ces personnes.
La question de la motivation des collaborateurs est souvent posée ? Quelle peut en être la définition ?
En fonction du sens donné à l’activité concernée, chacun doit se sentir imprégné de sa raison d’être. Il appartient alors au manager de souligner l’importance de chacun dans la chaîne de la réalisation de la « mission » de l’entreprise. Les équipes de la paye sont indispensables par exemple.
La période actuelle a fait découvrir à bon nombre de personnes que chacun est important et que le maillon le plus petit est indispensable, non seulement à l’entreprise, mais aussi à notre pays !
Les militaires ont depuis toujours lié la réussite de la mission à l’ensemble des équipes : le capitaine réussit la mission confiée grâce à sa section, l’avion ne décolle pas sans le mécanicien de piste qui installe le pilote à son poste de pilotage, et celui-ci ne partira pas en vol sans avoir pris un repas équilibré pour accomplir sa mission !
Découvrir que la caissière, le manutentionnaire, le cariste et le chauffeur routier sont indispensables à la chaîne logistique du pays est une information incroyable mais hélas tellement vrai !
L’humain est derrière tout ce qui se produit, se transporte, se vend ! Il est invraisemblable de l’avoir oublié, sans doute à cause des achats par internet et de la création des nouveaux « esclaves anonymes » que sont les livreurs.
Profitons de cette prise de conscience de nos compatriotes pour valoriser ces métiers.
Pour garantir la poursuite de l’activité il convient de définir un nouveau rythme de travail et d’introduire une discipline souple. Le planning qui sera communiqué à l’ensemble des personnels devra tenir compte des exigences de la période de crise actuelle et de l’environnement personnel de chaque collaborateur. Les conditions de sécurité devront être rappelées régulièrement.
Une certaine souplesse est nécessaire. En fonction du métier, de la présence physique ou pas au poste de travail les consignes seront différentes. Les caristes de Rungis dépendent des arrivages, le gestionnaire de paye en télétravail se mettra devant son ordinateur quand c’est nécessaire ! Mais garder en tête que tous sont utiles à l’entreprise !
Il s’agit en fait de rythmer la journée du collaborateur tout en lui accordant la liberté requise pour gérer son contexte personnel (enfants scolarisés à la maison, enfants en bas âge dont il faut s’occuper, conciliation avec le travail du conjoint, sorties pour courses ou autre motif autorisé par le gouvernement…).
L’idée est de permettre une mise au travail qui procure du plaisir à chacun, car cette période de travail arrive au bon moment. Cela requière une préparation au préalable.
Des nouveaux rituels seront mis en place afin de permettre une convivialité d’un type nouveau qui remplace le passage du manager dans les bureaux ou les ateliers le matin, mais qui a (un peu) le même effet : connexion café, ou encore réunion amicale pour échanger les « bonnes pratiques de confinement de chacun ».
Dans ces conditions, la durée du télétravail sera sans doute inférieure à la durée du travail habituel, mais probablement plus productive.
Motiver à distance, c’est donc penser à la prise en charge globale de chaque collaborateur : vie professionnelle/ vie personnelle.
C'est le véritable changement de paradigme de ce mode de travail à distance en environnement confiné et potentiellement à risque d’infection. Le travail se réalise au domicile, pour une durée indéterminée, c’est une porte ouverte sur l’intimité de chacun, cela va demander un effort supplémentaire au manager. Il va devoir définir un emploi de temps qui tienne compte des exigences de la vie familiale, mais il va devoir aussi s’inquiéter régulièrement de la santé, non seulement du collaborateur mais de l’ensemble de sa famille ou des personnes qui vivent avec lui. Les managers dépourvus d’empathie vont devoir s’adapter rapidement !
Transmettre aussi des conseils de bien-être sera très utile pour la motivation des personnes (organisation de moment de détente, sport à la maison, conseils de cuisine, de lecture, humour…).
Prévoir une structure d’écoute pour permettre aux personnes très angoissées de s’exprimer en dehors de leur contexte hiérarchique ou familial s’avérera sans aucun doute indispensable. Cela permettra aussi aux collaborateurs inquiets de revenir au travail.
Cette recommandation est fondamentale lorsque le manager doit à la fois organiser le travail pour des personnels en télétravail et pour des agents qui sont obligatoirement sur le terrain, dans l’entreprise. Les questions de sécurité doivent alors être prises en compte pour s’assurer de la pleine et entière coopération des intéressés. Ce dialogue sera à mener avec les délégués du personnel qui doivent jouer leur rôle de courroie de transmission à double sens.
Enfin, il est indispensable de prévoir la sortie de crise, quelles que soient les dates prévues par les annonces gouvernementales.
Le chef d’entreprise, le manager doit penser dès à présent à la reprise d’activité. Pour donner de la visibilité aux collaborateurs, qui verront là l’implication forte de leurs dirigeants, prêts à repartir pour très vite reprendre l’activité et générer ainsi le moins de perte possible pour l’entreprise, ce qui garantit aussi l’avenir des collaborateurs. Le collaborateur sera alors rassuré sur la pérennité de son emploi, sur sa sécurité financière et sanitaire. Avoir une visibilité d’avenir de son entreprise sera de nature à lui redonner confiance. Une équipe qui a des projets est une équipe qui reste soudée et qui va de l’avant !
Mais la reprise est aussi liée à des engagements clairs sur la sécurité sanitaire (tests, désinfection des locaux, mise à disposition de produits adaptés -gels, masques, gants-) de la part du manager ce qui lui permettra de reconstituer plus facilement les équipes. Encore une fois, la communication sera la clé du redémarrage : interventions orales et écrites du manager, panneaux, mails de sensibilisation devront être réalisés.
La reprise du travail se fera alors progressivement, par demi équipes pour limiter les risques, mais également pour tenir compte des nouvelles habitudes prises par les collaborateurs.
Enfin, l’indispensable retour d’expérience devra associer tous les collaborateurs afin de progresser ensemble dans l’après-crise qui comportera sans nul doute de nouvelles méthodes de travail.
Dans tous les cas la reprise devra être une opportunité de se réjouir de retrouver le lien socio-professionnel. Des moments festifs seront à organiser en conservant les gestes barrières, pour quelques temps encore.
À retrouver : l'article complet sur la gestion de crise en entreprise.
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